Le fondateur de la célèbre plateforme de messagerie Telegram, Pavel Durov, a été placé sous le feu des projecteurs judiciaires en France. Arrêté samedi 24 août à son arrivée à l’aéroport du Bourget, en Seine-Saint-Denis, Durov, 39 ans, a été mis en examen à Paris mercredi soir par deux juges d’instruction pour des infractions présumées commises via sa plateforme. Pavel Durov a été remis en liberté avec un lourd contrôle judiciaire, il a l’interdiction de quitter le territoire français.
Après quatre jours de garde à vue, le PDG de Telegram Pavel Durov a été mis en examen à Paris ce mercredi soir, 28 août, par deux juges d’instruction des infractions relevant de la criminalité organisée. La justice française lui reproche de ne pas agir contre la diffusion de contenus criminels sur la messagerie. La garde à vue de Pavel Durov, entamée samedi, s’est achevée ce mercredi en début d’après-midi. Selon un communiqué de la procureure de Paris Laure Beccuau, Pavel Durov a été inculpé au bout de plusieurs heures d’interrogatoire pour de nombreuses infractions : « refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi », complicité de délits et de crimes qui s’organisent sur la plateforme (trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée) et « fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme ».
Il a été remis en liberté avec un lourd contrôle judiciaire, qui prévoit l’obligation de remettre un cautionnement de 5 millions d’euros et de pointer au commissariat deux fois par semaine, et l’interdiction de quitter le territoire français. Pavel Durov avait été interpellé samedi soir dans l’aérogare du Bourget en vertu d’un mandat de recherche français, puis placé en garde à vue. Selon une source proche du dossier, Pavel Durov et son frère Nikolaï, tous deux co-fondateurs de Telegram en 2013, faisaient l’objet depuis mars de mandats de recherche émis par la justice française dans le cadre d’une enquête préliminaire.
Réactions et contexte politique
L’arrestation de Pavel Durov, établi à Dubaï, a suscité de vives réactions à travers le monde. Il a notamment reçu le soutien du lanceur d’alerte américain établi en Russie Edward Snowden et d’Elon Musk. Le milliardaire américain a publié un message sur X, sa plateforme, montrant des photos d’un mur où est gravée la devise française, « Liberté, Égalité, Fraternité » à côté d’une caméra de vidéosurveillance.
L’arrestation de Durov survient dans un contexte de relations tendues entre Paris et Moscou. À Moscou, le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov a dénoncé une « tentative d’intimidation ». Le Kremlin a averti ce jeudi 29 août que l’affaire judiciaire visant le patron franco-russe de Telegram Pavel Durov, arrêté en France, ne devait pas « se transformer en persécution politique ». « L’essentiel est que ce qui se passe ne se transforme pas en persécution politique en France », a déclaré Dmitri Peskov.
Toutefois, le président Emmanuel Macron a rapidement tenu à clarifier la situation. Dans un message publié sur X (anciennement Twitter), il a souligné que cette arrestation n’était « en rien une décision politique », réaffirmant l’indépendance de la justice française. Une source proche du dossier a également insisté sur le fait que l’Élysée n’a exercé aucune influence sur cette affaire, rappelant que « la séparation des pouvoirs est totale et constitutionnellement garantie ».
La naturalisation française de Pavel Durov en 2021, en tant qu’« étranger émérite », selon les informations du Monde, suscite également des interrogations. Des sources de l’entourage d’Emmanuel Macron ont confirmé que Durov avait rencontré le président français en 2018 lors d’un entretien dans le cadre de son rôle de promoteur de la tech, souligne d’autre part Reuters. Toutefois, la procédure de naturalisation a été gérée par le ministère des Affaires étrangères, après que Durov en a fait la demande.
Une douzaine de chefs d’accusation
Pavel Durov est actuellement entendu dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour une douzaine de chefs d’accusation, parmi lesquels « blanchiment de crimes ou délits en bande organisée ». Il est également reproché au fondateur de Telegram d’avoir refusé de coopérer avec les autorités françaises en leur fournissant un accès à certaines communications cryptées sur son application de messagerie visant à « assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme ».
La messagerie en ligne que Pavel Durov a lancée en 2013 avec son frère Nikolaï, sur laquelle les communications peuvent être chiffrées de bout en bout et dont le siège social se trouve à Dubaï, s’est positionnée à contre-courant des plateformes américaines, critiquées pour leur exploitation mercantile des données personnelles. Telegram s’est engagée à ne jamais dévoiler d’informations sur ses utilisateurs.
Pour son avocat, maître David-Olivier Kaminski, « il est totalement absurde de penser que le responsable d’un réseau social » tel que Pavel Durov « puisse être impliqué dans des faits criminels » qui seraient commis via sa messagerie. « Telegram se conforme en tous points aux règles européennes concernant le numérique, il est modérateur dans les normes identiques aux autres réseaux sociaux », a-t-il assuré.
Pavel Durov également visé par une enquête pour des « violences graves »
Dans son communiqué, la procureure de Paris explique que Telegram « apparaît dans de multiples dossiers portant sur différentes infractions (pédocriminalité, trafics, haine en ligne) » et affiche une « quasi-totale absence de réponse de Telegram aux réquisitions judiciaires ». Selon une source proche du dossier, les réponses positives de Telegram ces dernières années aux réquisitions judiciaires françaises se comptent en effet sur les doigts d’une main. D’après la procureure, « consultés, d’autres services d’enquête et parquets français ainsi que divers partenaires au sein d’Eurojust, notamment belges, ont partagé le même constat », déclenchant
l’ouverture d’une enquête « sur l’éventuelle responsabilité pénale des dirigeants de cette messagerie dans la commission de ces infractions ». Selon la procureure de la République, Laure Beccuau, son interpellation faisait suite à une information judiciaire ouverte le 8 juillet 2024 après une enquête diligentée par la section du parquet de Paris spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité.
Pavel Durov est également visé par une enquête pour des « violences graves » sur un de ses enfants à Paris, a appris l’AFP de source proche du dossier. Cette enquête confiée à l’office des mineurs (Ofmin) vient d’être ouverte, a-t-on ajouté de même source, en précisant que les faits auraient été commis sur un fils du milliardaire franco-russe né en 2017, alors qu’il était scolarisé à Paris.
Avec RFI