À quatre mois de la présidentielle aux États-Unis, tous les sondages donnent Donald Trump en tête face au sortant Joe Biden et en particulier dans les États clés. Ces sondages montrent aussi une tendance surprenante : jusqu’à 20% d’électeurs noirs seraient prêts à voter pour le candidat républicain. Entretien avec Cliff Albright, le président de Black Voters Matter, l’une des ONG les plus actives dans le pays pour mobiliser les électeurs afro-américains.
RFI : Cette tendance dans les sondages en faveur d’un vote afro-américain pour Donald Trump, vous la constatez aussi sur le terrain ?
Cliff Albright : Je ne vois pas du tout cette tendance sur le terrain. On constate depuis plusieurs années que les sondages se trompent, surtout lorsqu’il s’agit des électeurs noirs. À chaque élection précédente, en 2022, en 2023, jusqu’à 2020, on nous a dit à un moment que les électeurs noirs allaient se tourner vers Trump et les républicains. Et cela ne se produit jamais. En fait, le pourcentage d’électeurs noirs qui ont voté pour Trump en 2020 a même été légèrement plus faible qu’en 2016. C’est donc le contraire qui s’est produit.
La campagne Trump a inventé le concept de « BLEXIT », pour dire que des Noirs quitteraient le parti démocrate qu’ils ont toujours soutenu pour voter républicain. Qu’est-ce que cette idée vous inspire ?
C’est juste une fiction, une histoire inventée. Cela ne s’est pas produit. On ne peut pas imaginer une telle bascule des électeurs noirs en faveur des républicains alors que leurs politiques sont anti-Noirs. Ils s’attaquent à notre histoire. Ils brûlent nos livres. Ils s’attaquent à la discrimination positive. Ils se sont même opposés à l’annulation de la dette étudiante par le président Biden ! Et leur argument juridique devant le tribunal, c’était que c’était discriminatoire parce qu’il y allait avoir trop de Noirs qui en bénéficieraient ! On ne peut donc pas avoir toutes ces politiques anti-noirs et dire ensuite : « Oh, nous pensons qu’ils vont se mettre à voter pour nous ». C’est juste impossible.
Dans ses meetings, Donald Trump met en avant son passif judiciaire pour séduire les Noirs sur le thème « moi aussi, je suis inculpé et victime comme vous d’un système judiciaire injuste ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
D’abord, c’est raciste parce que ça donne l’impression que tous les Noirs sont liés à la criminalité. Mais surtout, c’est à l’opposé de la réalité car au lieu de montrer à quel point il est semblable à nous, ce qu’il montre en réalité, c’est à quel point il a des privilèges. Car soyons clairs, s’il y avait un seul élu noir, même si c’était le président Obama qui était confronté à quatre procès différents, avec toutes ces inculpations, il ne serait certainement pas en train de voyager à travers tout le pays pour faire des discours, qui plus est des discours qui attaquent les juges et les procureurs.
Et en plus, lui va pouvoir voter, alors que son parti essaie constamment de retirer le droit de vote aux gens qui ont été condamnés. Et donc, encore une fois, les Noirs voient cette hypocrisie : si nous, on commet un crime, on risque fort de ne plus jamais pouvoir voter. Trump, lui, non seulement il peut commettre un crime et voter ensuite, mais en plus, il peut se présenter à l’élection présidentielle !
La campagne de Trump mise en tout cas sur une démobilisation du vote noir, avec Black Voter Matter, vous essayez justement de permettre à plus de Noirs d’avoir accès au vote. Est-ce que vous craignez que la communauté afro-américaine se mobilise moins pour Biden en 2024 qu’en 2020 ?
La participation électorale des Noirs ne dépend pas seulement de notre énergie. Elle est aussi fonction du nombre de barrières imposées au droit de vote. En réalité, lors des dernières élections, la baisse de la participation a été plus forte dans les États qui, par coïncidence, ont adopté les pires lois pour compliquer l’accès au vote des Noirs, à savoir la Floride, le Texas et la Géorgie. C’est exactement l’objectif de ces lois. Et c’est exactement ce que nous combattons, en tant que militants, en demandant au contraire le renforcement des protections du droit de vote.
Et justement, en 2020, Joe Biden avait promis une grande loi pour protéger le droit de vote des Noirs et une autre pour reformer la police… c’était juste après le meurtre de George Floyd et les grandes manifestations antiracistes de l’été 2020. Le problème, c’est que ces lois ont été bloquées au Congrès par les républicains. Est-ce que cela a déçu les électeurs noirs ?
Oui, je crois qu’il y a de la déception, mais cela peut se corriger avec une meilleure communication. Par exemple, sur la réforme de la police et la loi George Floyd, c’est vrai que de nombreuses personnes de notre communauté souhaitaient les voir adopter. Et elles ne l’ont pas été.
Le président n’avait pas de prise là-dessus, mais il contrôle en revanche les directives fédérales et il a pu interdire ces interventions de la police avec des mandats d’arrêt sans frapper à la porte, les clé-de-bras lors des interpellations. Au niveau fédéral, des poursuites ont été engagées contre ceux qui ont tué les trois personnes pour qui nous avons manifesté durant l’été 2020 : George Floyd, Breonna Taylor et Ahmaud Arbery. Toutes ces affaires ont fait l’objet de poursuites au niveau fédéral. Donc sur ces questions qui nous ont fait descendre dans la rue pendant des mois, cette administration a tenu ses promesses, mais ces histoires n’ont pas été suffisamment racontées.
À chaque fois qu’on discute avec les électeurs dans la rue dans nos communautés, on rappelle ces faits. Et les gens qui commençaient par dire « rien n’a été fait » se disent soudain « Oh, finalement, des choses ont été faites ». Il faut donc mieux communiquer sur ce bilan.
Cette administration a fait des choses qui vont dans le sens du progrès économique. Malgré ce que Trump essaie de dire, le taux de chômage le plus bas chez les Noirs n’a pas été enregistré sous son administration. Il l’a été sous l’administration Biden. [Celle-ci] a été en mesure de réduire le coût des médicaments sur ordonnance, en particulier de l’insuline, ce qui est important pour la communauté noire car nous avons les taux de diabète les plus élevés. C’est une réalisation importante pour nous. Désormais, les gens n’ont plus à choisir entre se nourrir, payer leur loyer ou leur insuline. Parce que maintenant, c’est plafonné. Cette administration a obtenu davantage de résultats, notamment sur le plan législatif, que n’importe quelle autre administration depuis Lyndon Johnson. Certains disent même depuis Roosevelt et son New Deal !
Avec RFI