Le projet de loi d’amnistie, initié par le président Macky Sall, est désormais sur les rails. Il doit être examiné ce mardi par une commission technique composée de 30 députés de la majorité et de l’opposition, avant un débat en plénière à l’Assemblée nationale demain mercredi.
Cette amnistie concerne les auteurs de faits commis lors des manifestations politiques entre 2021 et 2024, qui ont fait des dizaines de morts et provoqué d’importantes dégradations matérielles, comme le saccage de l’université de Dakar.
Une amnistie qui soulève donc bien des questions…
Tout d’abord, « Ousmane Sonko va-t-il retrouver son éligibilité ? », s’interroge le site d’information Senego. L’opposant qui est derrière les barreaux depuis juillet dernier, a été condamné pour des propos diffamatoires, rappelle le site, à l’encontre du ministre Mame Mbaye Niang. Une condamnation qui entre dans le cadre de l’amnistie. Mais qu’en est-il d’une autre affaire ? Celle du salon de beauté Sweet Beauty pour laquelle, accusé de viol par une jeune femme de 20 ans, Adji Sarr, Ousmane Sonko a été condamné par contumace pour corruption de la jeunesse.
En effet, pointe Jeune Afrique, « cette affaire privée ne relève pas du type d’infractions énumérées par le projet de loi et les viols allégués par la jeune femme auraient été commis, pour la plupart, avant la date du 1ᵉʳ février 2021 retenue comme point de départ de la période de deux années couverte par l’amnistie. »
La colère des familles de victimes…
Autre question soulevée par cette loi d’amnistie : quid des familles des victimes de la répression politique ?
En effet, rappelle Jeune Afrique, « au sein de l’opposition et de la société civile, cette initiative gouvernementale est décriée dans la mesure où elle aurait notamment pour effet de garantir l’impunité aux membres des forces de défense et de sécurité, soupçonnés de s’être rendus coupables d’exactions contre de nombreux manifestants, dont plusieurs dizaines ont trouvé la mort entre mars 2021 et juillet 2023. »
Ce serait donc « une insulte aux familles endeuillées », s’exclame le site Seneplus. En effet, précise-t-il, « alors que plus de 60 personnes ont perdu la vie lors de manifestations politiques depuis 2021, ce projet de loi d’amnistie générale risque de nier le droit à la justice des proches de victimes. » D’ailleurs, rapporte Seneplus, « l’ONG Amnesty international s’est élevée, hier, contre le projet, estimant que son adoption constituerait un affront aux familles des victimes et une prime troublante à l’impunité. »
Amnésie collective ?
Dans les colonnes de WalfQuotidien, le député Thierno Alassane Sall hausse le ton : « balles réelles, femmes brûlées vives à bord de bus, jeunes handicapés à vie, avenirs calcinés, université saccagée, biens publics et privés détruits. (…) Beaucoup de nos compatriotes porteront, à vie, les stigmates de ces événements, affirme Thierno Alassane Sall. Nous avons tous été directement ou indirectement meurtris. En ces jours de mars où le pays devrait être tenu en haleine par le second tour de la présidentielle, nous voilà face à une tentative d’occulter la vérité pour le bénéfice de quelques-uns. Qui est derrière cette loi ? À qui profite-t-elle vraiment ? Les victimes, les familles, le Sénégal méritent que la lumière soit faite. »
L’ancien parlementaire Thierno Bocoum s’emporte également dans le quotidien 24 Heures : « Macky Sall veut nous imposer une amnésie collective, affirme-t-il. Il cherche ainsi à faire table rase sur les crimes ignobles et délits qui ont secoué ce pays durant toute la période visée. C’est un manque de respect notoire envers le peuple sénégalais. »
Que va dire la CPI ?
Et puis autre interrogation : quelle va être l’attitude de la CPI face à cette amnistie ? Interrogation posée par WalfQuotidien qui pointe que « la Cour pénale internationale, saisie des mêmes faits, risque de faire blocage à ce projet de loi d’amnistie, même adopté par l’Assemblée nationale sénégalaise. »
Enfin, le quotidien Aujourd’hui à Ouagadougou conclut, fataliste : « immoler la justice sur l’autel de la paix, voilà ce qu’a choisi le Sénégal, c’est un choix cornéen, un dilemme, mais à la lumière de ce qu’on a vu en mars 2021, et récemment après le report de la présidentielle, l’immunité qui frise l’impunité pourrait être la solution bancale, mais la solution tout de même, pour que le Sénégal tienne son élection présidentielle ce 2 juin 2024 dans la paix. »
Rfi